Mais l’aime-t-on vraiment ?
Après tout, la magie telle qu’on la pratique aujourd’hui est un cauchemar pour la raison et la logique. Elle nous laisse dans l’incompréhension, suspendu.e.s, dans le vide, aux mains du magicien. Pour peu que lui prenne l’envie de nous faire disparaître… Alors pourquoi diable aime-t-on la magie ?
Dans son livre Magician’s Magic, Paul Curry évoque même l’idée intéressante et perturbante que nous devrions normalement nous “rebeller contre une telle torture mentale” ! Mais la vérité, aussi étonnante soit-elle, est que la performance de magie dépasse souvent la frustration et l’exaspération, pour charmer et ravir ses spectateurs. Charmer et ravir dans leur sens le plus fort, ensorceler, et élever à l’extase. Si l’inconnu fait peur, il nous attire aussi. Car ce qui est inconnu est nouveau. Donc intrigant, fascinant.
Il y a une certaine jouissance à ne pas comprendre, à ne pas chercher à contrôler ce que l’on voit. Jouissance permise car la magie que l’on crée aujourd’hui est un divertissement, dont le but est d’émerveiller et de procurer de la joie — et pourquoi pas un peu d’adrénaline ! On peut donc sans danger se laisser emporter vers d’autres horizons, sortir de notre réalité quotidienne pour explorer l’éventualité de l’impossible rendu possible, le temps d’un instant.
Tout est possible
Il y a peu d’enfants qui n’aiment pas la magie, et la raison est simple : ils y croient.
Parmi les plus grands, certains, comme quand ils étaient petits, ont juste envie d’y croire et d’être épatés, de retrouver ce sentiment d’enchantement. Retrouver l’époque où l’on croyait en tout, et tout le monde.
Ce n’est pas pour rien que Le Petit Prince est un des livres les plus lus au monde, par les adultes et les enfants, il permet de reconnecter avec notre enfant intérieur, celui qui nous a vu nous éloigner, grandir et accepter les codes et réalités qui nous étaient imposés. Accepter que certaines choses sont possibles et d’autres pas, qu’il y a des limites, et qu’il est dangereux de les franchir. La magie comme le Petit Prince, nous somme de retrouver cet émerveillement qui ne nous quitte jamais vraiment et l’audace de croire en tout ce qui nous passe par la tête.
Et puis pour d’autres finalement, c’est relever le challenge du mystère à percer qui les anime. Dans tous les cas, il y a un enfant excité et intrigué qui en redemande !
Et un peu de sucre en poudre
Tout l’art du magicien réside alors dans cette merveilleuse aptitude à “savoir doser”. La magie pour rester magique doit rester rare. On parie que si l’on vous fait sortir un lapin (en peluche, on est pas des monstres) d’un chapeau tous les matins, déjà il y a de fortes chances qu’à la longue vous compreniez… les ressorts, disons, et puis on mise aussi sur un épuisement assez rapide et exponentiel de la surprise et la joie. Voire, un retour à la frustration et l’exaspération de départ. La virtuosité du magicien ne réside alors plus seulement dans sa dextérité manuelle mais aussi dans sa posture et la gestion de ses apparitions (et disparitions).
Faute de croire à la magie, on croit au talent, et c’est cela qu’on aime. Ça peut prendre du temps de maîtriser un tour comme Oracle, mais on sais reconnaître le travail qu’a fournit le magicien pour en arriver et cela nous impressionne aussi. Tout comme on aime se laisser emporter par une musique envoûtante, assister à un tango endiablé et millimétré, contempler notre tableau préféré, on aime assister à un spectacle que l’on sait unique et rare car il ne nous sera pas donné de sitôt de rencontrer un homme ou une femme qui maîtrise l’art subtil de l’illusion.
Le magicien entend souvent après un ou plusieurs tours : “et est-ce que tu peux faire ça ? et ça ?”, on veut croire qu’en fait le magicien peut tout, quitte à être déçu.e, on teste les limites de la magie. Jusqu’où peut-elle nous emmener, nous envoler avant de nous ramener au sol — plus ou moins brutalement ?
Alors voici notre réponse à la question « Pourquoi aime-t-on la magie ? »: Si l’enfant y croit, l’adulte, lui a envie d’y croire, comme de fulgurantes réminiscences de ce temps béni où il croyait que tout était possible…

Manon Bernard
Rédactrice Web